Rudraksha est traduit en général par « œil de Rudra » ou « œil de Shiva ». En effet, aksha signifie “oeil” en sanskrit. Quant à Rudra, ce terme est souvent traduit par « le hurleur », « le destructeur », « le rouge », ou encore « le-seigneur-des-larmes ».
Dans le Rig Veda il semble que ce terme peut aussi désigner différents aspects destructeurs comme le feu d’Agni ou la foudre d’Indra. Il représente le principe de désintégration, ou d’anéantissement, mais toujours dans la perspective d’une régénération. Ainsi dans la vision traditionnelle indienne qui est cyclique, la destruction fait partie d’un ordre naturel et permet à de nouvelles formes de se manifester.
Rudra représente également un aspect bénéfique : « Rut est le nom donné aux trois formes de douleurs [physique, mentale, spirituelle] qui existent en ce monde. La cause de la douleur est aussi appelée rut. Il est Rudra, Celui-qui-enlève-la-douleur parce qu’il éloigne toute forme de souffrance. »1 Dans ce contexte, Rudra représente aussi l’archétype du guérisseur, qui apparaît souvent sous la forme d’un vieil homme barbu et chevelu à la peau bleue cendrée et aux yeux rouges.
Le terme Rudra fut remplacé ensuite par celui de Shiva, « le bienfaisant », « le bénéfique », « le paisible », mais aussi « le-seigneur-du-sommeil », qui incarne la paix de la libération ultime. Aujourd’hui, les deux termes Rudra et Shiva sont a peu près synonymes, « Toutefois, Rudra, en théorie, représente l’aspect terrible et actif du dieu, tandis que Shiva est l’aspect bienveillant, paisible, transcendant, de la tendance-désintégrante. »2
Dans la mythologie indienne, il existe plusieurs légendes concernant l’origine des rudraksha, comme dans le Maha Shiva Purana, ou le Devi Bhagwat Purana. La plupart relate que les arbre de rudraksa sont apparus sur Terre où tombèrent des larmes de Shiva. Parfois, c’est parce qu’il avait gardé les yeux fermés trop longtemps dans une méditation, parfois c’est parce qu’il les avait gardés ouverts très intensément pour concentrer sa force dans le troisième œil en vue d’affronter les démons de Tripura, parfois encore, il versa des larmes d
e compassion en contemplant la souffrance de tous les êtres.
Cet épisode rappelle la bienveillance de Nilakantha, aspect de Shiva à la gorge bleue. Cette coloration fut provoquée par le poison Halahala Kalakuta que le grand Dieu absorba pour sauver tous les êtres menacés de destruction, lors du barattage de l’océan de lait par les dieux et les asura
Parallèlement à la légende, on peut noter certains aspects symboliques qui établissent un lien entre les graines qui constituent le mala et l’œil de Shiva.
Si l’on a associé Shiva à cet arbre, c’est peut-être avant tout pour la couleur bleue de ses fruits. Le bleu est souvent la couleur sous laquelle apparaît le dieu Shiva en référence à son aspect de Nilakantha.
Le chiffre associé à Shiva est le 5, or la plupart des graines de Rudraksha ont 5 faces (mukhi en sanskrit)3. Cependant, on peut trouver dans la nature des graines de rudraksha qui ont jusqu’à 29 faces 4. Le 29 est un nombre lunaire, dans la mesure où la lunaison dure un peu plus de vingt-neuf jours. Shiva est le dieu lunaire par excellence, il a en général un croissant de lune dans sa chevelure.
Même s’il existe quelques rudraksha polis5, les graines qui constituent les mala sont en général utilisées dans leur forme naturelle. L’aspect rugueux des rudraksha, évoque bien l’approche shivaïte, directe, pas toujours très polie, voire un peu « brute de décoffrage ». Cet aspect rugueux permet au yogi de mieux sentir son mala sous ses doigts et de rester d’avantage conscient dans la pratique. Le sens du toucher est exacerbé, la conscience tactile est directement en relation avec le cœur, elle est au centre de l’expérience sensorielle mise en avant dans le yoga tantrique.
D’autre part l’apparence des graines de rudraksha évoque les circonvolutions du cerveau. Cet organe est en relation directe avec Ajna chakra, siège principal de Shiva.
Le mala de rudraksha est souvent associé à d’autres symboles qui évoquent Shiva, comme le trishula (trident) et le Shivalinga (voir illustration ci-dessus).
Le terme sanskrit “rudraksha” désigne aussi bien la graine que l’arbre lui-même. Dans la pratique du mala de rudraksha, un lien est créé avec la nature végétale et le potentiel de vie contenu dans chacune de ces graines.
La dénomination botanique de cet arbre est Elaeocarpus sphaericus ou Elaeocarpus ganitrus ou encore Elaeocarpus Angustifolius6. Elaeocarpus est un genre d’arbre ou d’arbuste sempervirent7 tropical et subtropical. Il peut atteindre jusqu’à 30 mètres de haut et son tronc mesurer jusqu’à un mètre de diamètre. Le tronc a une écorce blanche-grisâtre et rugueuse dans la texture avec de petites lenticelles verticales et des sillons horizontaux étroits. Environ 350 espèces sont répertoriées entre Madagascar, l’Inde, l’Asie du Sud-Est, la Malaisie, le Sud de la Chine, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, la nouvelle-Calédonie, les Fidji et Hawaï. Elaeocarpus est classé dans le règne des Plantae, la division des Magnoliophyta, la classe des Magnoliopsida, l’ordre des Oxalidales, la famille des Elaeocarpaceae.
Les jeunes feuilles sont d’abord orangées avant de prendre une couleur vert émeraude puis vert foncé brillant. Avant de tomber, les feuilles se colorent de rouge. Le cycle des feuilles est continu durant toute l’année. Les feuilles sont lancéolées.
Les inflorescences sont très florifères et sont composées de 10 à 25 fleurs blanches pendantes. Les fruits se développent quand l’arbre est âgé de 7 à 8 ans. Ils mesurent de 2 à 4 cm de diamètre et sont verts avant maturité, bleus après.
L’arbre est parfois nommé communément “Cerisier Bleu”, à cause de la couleur de ses fruits, sphères bleu vif, iridescent. La couleur iridescente est rare dans le monde végétal et majoritairement due aux anthocyanines (pigments naturels) sauf dans le cas de E. Angustifolias : D.W. Lee a montré que la couleur est due à une remarquable structure de l’épiderme, une interférence multicouches8. Une pulpe recouvre le noyau dur et rugueux, contenant une ou plusieurs graines (une par loge fertile). C’est en fait le noyau qui constitue la perle des mala, il est nommé improprement “graine”.
Pour multiplier E. ganitrus par semis, il faut casser un jeune noyau pour en extraire délicatement les petites graines, les faire tremper 24 heures dans de l’eau chaude puis les mettre en terre et patienter 1 à 2 ans avant la germination dans un climat subtropical (25-30°C). La multiplication végétative par bouturage donne également de bons résultats.
Des sillons naturels parcourent les perles rejoignant les deux pôles opposés du Rudraksha, définissant ainsi le nombre de faces des graines. Les propriétés des graines varient en fonction du nombre de faces, appelées mukhi. Si les graines à 5 faces sont les plus courantes on peut trouver beaucoup d’autres types de rudraksha. Certains textes, comme le Shiva Purana, n’en dénombrent que 14, d’autres vont jusqu’à 21, voire 29 faces, et même d’avantage si on se réfère aux rudraksha atypiques. Par exemple, le Ganeshadana, une graine qui présente une petite excroissance, comme une petite trompe de Ganesha (voir illustration ci-contre), ou encore le Gauri Shankar mukhi, deux graines reliées ensemble, qui représente l’union de Parvati et Shiva, ou même trois graines reliées ensemble, le Trijuti mukhi, qui symbolise la Trimurti.
Un même arbre va produire en même temps des Rudraksha avec un nombre de faces différent. Les perles avec un nombre de faces élevées sont les plus rares. Certaines graines sont tellement précieuses qu’elles valent plusieurs milions de roupilles. Lorsque l’on achète ces rudraksha il faut être très vigileant car des contrefaçons existent en Inde.
Les perles peuvent être de différentes couleurs. Les plus communes sont rougeâtres ou noires, on en trouve aussi des blanches ou des dorées9.
La médecine ayurvédique attribue des vertus bénéfiques et bienfaisantes au Rudraksha. Les graines ont un puissant rayonnement électromagnétique qui renforce notre champ énergétique. Le port de ces graines aide à équilibrer le fonctionnement de nos organes. Le 25ème chapitre de Vidyeshwar Samhita indique que le port du Rudraksha détruit le mal et les démons.
Les propriétés ou pouvoirs des Rudraksha varient en fonction des mukhi :
En général, il est recommandé de porter une graine de rudraksha sur soi pour bénéficier de ses effets thérapeutiques, mais il existe également des usages plus particuliers, par exemple, il est possible de charger une graine de rudraksha avec un souffle, un mantra et une visualisation spécifiques. Les graines ainsi chargées permettent de réaliser des nyasa, massages énergétiques utilisés dans le yoga tantrique.
Les rudraksha sont utilisés dans l’astrologie. Dans le zodiac solaire, Surya Kundali, par exemple un natif du signe du lion, Simha, qui est gouverné par le soleil, devra porter des rudraksha de 1, 3 ou 12 faces. Dans le zodiac lunaire, Chandra kundali, qui comporte 27 nakshatra (ou demeure lunaire12), chaque nakshatra est associé à une planète et à un ou plusieurs rudrasksha, par exemple, le premier nakshatra qui s’appelle Ashvini est associé à la planète Kétu et au rudrakhsa à 9 faces.
Nous présentons ci-dessous, pour chacun des 21 premiers types de rudraksha, les planètes et les divinités associées.
Nombre de mukhi | Planète | Divinité |
1 | Soleil | Shiva |
2 | Lune | Ardhanareeshwara |
3 | Mars | Agni |
4 | Jupiter | Brahma |
5 | Jupiter | Shiva |
6 | Venus | Ganesha et Kartikeya |
7 | Saturne | Lakshmi et Sapta Matrikas13 |
8 | Rahu | Ganesha |
9 | Ketu | Durga |
10 | – | Vishnu |
11 | Soleil | Hanuman, Rudra |
12 | Soleil | Indra, Aditya, Surya |
13 | Venus | Kamadeva, Indra |
14 | Saturne | Shiva |
15 | Rahu | Shiva, Pashupati Nath |
16 | Ketu | Shiva, Rama |
17 | – | Vishwarakarma |
18 | Terre | Bhumi Devi |
19 | – | Visnu et Lakshmi |
20 | – | Brahma |
21 | – | Kubera14 |
Il y a d’autres éléments qui sont associés aux différents types de rudraksha, par exemple les organes, les jours de la semaine, les pierres précieuses et les mantra15.
Dans le chapitre 25 de la Shiva-purana intitulé « Glorification des rudraksha, yeux de Rudra16 », le dieu explique à la déesse le bon usage des rudraksha, en mettant l’accent sur les mantra qui doivent être associés au port de ces graines (voir illustration ci-contre).
« 82. Pour atteindre tous les buts souhaités, l’adorateur portera les rudraksha avec les mantra. Il aura dévotion et foi, et sera sans inertie et sans paresse.
Dans ce texte, il est expliqué en particulier comment invoquer les cinq aspects de Shiva, en lien avec les différentes parties du corps qui portent les rudraksha. La tête reliée à Ishana avec le mantra HOM ISHANA-MURDHNE NAMAH ; le visage relié à Tatpurusha, avec HEM TATPURUSHA-VAKTRAYA NAMAH ; le cou et la poitrine reliés à Aghora, avec HUM AGHORA-HRIDAYAYA NAMAH ; les parties cachées reliées à Vamadeva avec HIM VAMADEVA-GUHAYA NAMAH ; le corps tout entier relié à Sadyojata, avec HAM SADYOJATA-MURTAYE NAMAH. Ces cinq mantras sont appelés Brahma-mantra ou Vakta-mantra17.
Les mantras sont utilisés de façons différentes suivant la tradition à laquelle se rattachent les yogi, mais tous les courants du yoga tantrique s’accordent sur l’importance des bija qui constituent les mantra. Le bija est la syllabe germe qui contient la puissance du son. Les fréquences des bija sont en affinité avec des aspects du corps énergétique, ou en résonance avec des aspects divins (Ishta-devata). On peut retrouver le son de certains bija dans des mots sanskrits, mais la vibration de la syllabe germe précède toujours le concept, le bija est en amont des mots qui constituent le langage, même s’il s’agit d’une langue sacrée comme le sanskrit.
Dans ce contexte, il est intéressant de rapprocher le terme aksha, l’oeil, de akasha, l’espace, bien que ce ne soit pas les mêmes racines sanskrites. Le passage par les bija et le souffle établit la relation symbolique et énergétique.
Dans le pranayama on associe couramment le bija HA au pétale droit d’ajna chakra, et le bija KSHA au pétale gauche, ainsi le mantra HAKSHA évoque directement l’oeil, aksha. Par exemple, dans un kapalabati alterné, on expirera tantôt par la narine droite, tantôt par la narine gauche, en prononçant le bija HA en expulsant l’air à droite et le bija KSHA en expulsant l’air à gauche. Paupières closes, on pourra éventuellement suivre ce mouvement avec le regard, en le portant alternativement sur les pétales de droite et de gauche, de façon coordonnée avec le souffle et les bija. Au bout d’un moment on suspendra le souffle au centre du lotus. Cette pratique ouvre l’espace d’ajna (chidakasha) et relie à l’oeil de Shiva (rudraksha).
Notes:
1 Shabda Cintâmani
2 Mythe et Dieux de l’Inde, Alain Danielou.
3 Environ 95% des graines de rudraksha ont cinq faces, les autres sont un peu comme des trèfles à quatre feuilles.
4 Même si en général les rudraksha sont répertoriés jusqu’à 21 faces, les graines de 22 à 29 faces sont encore beaucoup plus rares.
5 Ces mala constitués de par des graines de rudraksha soigneusement polies sont utilisés en général par des tibétains et peuvent avoir une grande valeur.
6 Dénominations synonymes selon M.J.E. Coode (Royal Botanic Garden, Kew, UK), Kew bulletin ISSN 1874-933X
7 A feuilles persistantes.
8 Nature, 17 janvier 1991, ISSN 0028-0836
9 On trouve des rudraksha de quatre couleurs différentes : blancs, rouges, dorés et noirs, correspondant symboliquement aux quatre castes. Le blanc est la couleur des brâhmanes (prêtres, enseignants et hommes de loi), le rouge est la couleur des kshatriya (princes, administrateurs et militaires), le jaune est la couleur des vaishya (artisans, commerçants, hommes d’affaires, agriculteurs et bergers), le noir est la couleur des sudra (les serviteurs).
10 Srimaddevibhagavat 11ème Skand Chapitre IV,
11 Les propriété thérapeutiques des graines de 15 à 21 faces sont citées dans Rudraksa, seeds of compassion, Dr Nibodhi Haas.
13 Les sept Mères : Brahmi, Maheshwari, Kumari, Vaishnavi, Varahi, Indrani et Chamunda
14 Seigneur de la richesse
17 Voir explications détaillées par Tara Michaël, op.cit., p 161., voir également son article sur la relation entre Shiva et la cinquième tête de Brahma : « Les Kapalika », InfosYoga n°101.
par Khristophe Lanier et Isabelle Mauclair
Article publié dans la revue Infos Yoga N°104 Nov-Dec 2015
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